09.03.2022

«Propaganda», un livre bientôt centenaire encore très actuel!

Photo: atempsperdu.net
Photo: atempsperdu.net 

Par hasard (ou presque!), Catia Luperto et Romain Pittet ont tous deux récemment lu Propaganda, considéré comme l'ouvrage fondateur des relations publiques. Voici ce qu'il faut en retenir, selon notre ancienne vice-présidente et notre actuel co-président.

Près d’un siècle après la parution de son essai Propaganda, Edward Bernays est encore perçu comme l’un des théoriciens les plus influents des relations publiques. Décidant d’appliquer en temps de paix les techniques de persuasion de masse adoptées pendant la guerre, le personnage reste intimement lié à certaines campagnes spécifiques. Celles-ci sont encore maintes fois citées et concernent notamment l’avènement de la société de (sur)consommation ou de la cigarette comme acte de revendication féministe. Les enjeux éthiques de ces causes sont aujourd’hui discutables...

Une méthodologie très actuelle

Malgré cela, le texte paru en 1928 reste bien d’actualité et les réflexions qu’il suscite sont encore pertinentes aujourd’hui. Non seulement parce qu’il expose de façon assez méthodique les éléments incontournables de notre canevas stratégique (le squelette analyse-objectifs- publics-message-outils), mais surtout parce que les enjeux humains restent les mêmes: rendre accessible au plus grand nombre des informations nécessaires à une prise de décision éclairée.

Une phrase en particulier résonnera aux oreilles des professionnel·les d’aujourd’hui: «La démocratie a cela de particulier qu’elle autorise le premier venu à essayer de convaincre ses semblables et à exercer l’autorité en vertu de la thèse qu’il défend.» Remplacez «démocratie» par «réseaux sociaux» et vous retrouvez la thématique de nombreux débats et polémiques des 15 dernières années. En ce sens, Propaganda n’a pas pris une ride.

Une activité à forte portée stratégique

Dans son livre, Bernays dit que si le public visé n'est pas prêt à accepter l'idée qu'on veut installer, il faut d'abord créer «les circonstances favorables à cette acceptation.» Mine de rien, cette petite phrase laisse entrevoir un métier qui prend son temps et qui ne craint pas de voir loin. C'est à l'antipode des «coups de com» vite faits-mal faits qu'on voit si souvent sur notre marché.

Et c’est pareil quand on voit à quel point Bernays se préoccupe de l'effet réel des opérations. Pas seulement des vanity metrics. Si on suit ses préceptes, on ne devrait jamais communiquer pour le plaisir de communiquer, mais seulement pour provoquer un impact. Ça paraît évident, mais on voit tous les jours des actions dont la première ambition semble être de satisfaire l’égo des entreprises. Et non pas d'avoir un réel effet sur l'opinion ou le comportement des publics visés.

De passionnantes questions d'éthique

Certaines approchent froissent tout de même. Le titre même de l’ouvrage ainsi que la vision très House of Cards des RP que dépeint Bernays expliquent en partie pourquoi notre métier peine à faire comprendre ses enjeux. L’auteur décrit le «gouvernement invisible», permettant à la «minorité» (à savoir, les bourgeois bénéficiant d’importants capitaux financier et politique), «d’influencer la majorité dans le sens de ses intérêts». Ce que Bernays appelle également «organiser le chaos»... et c’est précisément ce qui confère aux
relations publiques cette notion de figure manipulatrice de l’opinion publique, coûte que coûte et quel que soit l’enjeu.

Le sous-titre du livre est d'ailleurs: «Comment manipuler l'opinion publique en démocratie». Et c’est bien là que les dilemmes éthiques interviennent. Notons tout de même que Bernays voit dans le conseiller en relations publiques un guide qui façonne l'opinion publique, mais uniquement pour la bonne cause: «il se refusera néanmoins à apporter ses services à un client qu'il estime malhonnête, à un produit qui lui paraît frauduleux, à une cause qu'il juge antisociale.» Sur ces aspects, une liste de prochaines lectures nous promet déjà des heures passionnantes et des débats qui ne le seront pas moins!

Avant de se plonger dans Propaganda, ne négligez pas la préface signée Normand Baillargeon, qui livre quelques anecdotes édifiantes et offre un cadre bienvenu à ce texte. On y apprend notamment que Bernays est l’initiateur de la diffusion dans le débat public des problèmes liés aux maladies sexuellement transmissibles. Une cause plus qu’honorable. Et qui démontre que les nombreuses heures que nous dédions à notre travail méritent d’être attribuées à des enjeux moraux et sociaux.

Texte: Catia Luperto et Romain Pittet