La communication multilingue en Suisse, un sport national

Comment réussir sa campagne de communication sans se prendre les pieds dans la barrière de Rösti? Condensé de la table ronde du 16 janvier 2025
Une marque de couches vantant “Un bon plan pour vos animaux”. Un acteur de la grande distribution qui, dans une campagne de recrutement, vous intime: “Lancez votre carrière en tant que trainee”. Un fabricant d’imprimantes qui clame que “Travailler avec un Frère, c’est bien” au détriment du bon sens et des conventions d’utilisation des majuscules. En Suisse comme partout, mais plus qu'ailleurs, traduction n’est pas raison. L'enfer de la communication bilingue est pavé d’adaptations ratées.
Au-delà des slogans qui tombent à plat des campagnes qui se prennent les pieds dans la barrière de rösti, les pros des relations publiques sont toutes et tous confrontés un jour ou l'autre aux défis linguistiques et culturels de la diversité helvétique.
Pour qu’une opération de communication vise juste, elle doit prendre en compte les références partagées par une population. Messages, type d’humour, culture générale… l’éventail des éléments dont il faut tenir compte est large et la frontière entre une erreur et un message qui touche le cœur, bien fine. Pour tracer sa voie sans tomber dans le gouffre, la SRRP a organisé une table ronde le jeudi 16 janvier. Simon Koch, membre du comité et modérateur, a construit ce temps d’échanges avec des panélistes représentant chacun et chacune une facette du sujet.
Entreprise nationale, sensibilités locales: comment “parler Vaudoise”?
Patrick Matthey, responsable de la communication institutionnelle du Groupe Vaudoise, a présenté les modes de travail instaurés pour toucher la clientèle et communiquer avec les équipes d’origines différentes.
Pour la seule compagnie d’assurance nationale basée en Suisse romande, la question de communiquer dans des langues différentes se pose au quotidien. Et ici, il n’est pas uniquement question de la langue de Goethe ou de Molière. Du dialecte du Haut-Valais à la langue vaudoise, les spécificités à prendre en compte pour toucher les cœurs sont multiples.
La manière d’y répondre? D’abord, la création de Vaudois translate, un outil de traduction en interne entraîné avec l’IA pour pour “parler Vaudoise” à l’interne. Ensuite, pour cette marque à la stratégie audiovisuelle multilingue, les outils de traduction simultanée en direct ont été adoptés avec succès. A la baguette, un puissant centre de compétences linguistiques interne. Gare à celles et ceux qui associeront cette fonction support à la seule transposition des messages tant les polyglottes qui oeuvrent créent des messages qui ont du sens.
Informer la population d’une ville bilingue: le cas de Bienne
Julien Steiner, Chancelier de la ville de Bienne et ancien responsable du service central d'information, fait quotidiennement face à l’enjeu d’informer la population d’une ville bilingue. Historien de cœur et de formation, il est revenu avec humour sur les étapes qui ont fait de Bienne une ville officiellement bilingue en 1996 seulement.
Avec transparence, Julien a présenté à l’assistance les différents défis qui se posent au quotidien. Comment rester réactifs dans la communication alors que la traduction, nécessaire, allonge les délais? Comment respecter le cadre pour informer et en sortir pour interpeller, notamment sur les réseaux sociaux?
Dans une ville où les sensibilités linguistiques sont importantes, les services de communication de la ville font cohabiter les mots. Dans les communications officielles, l’espace est strictement réparti entre l’allemand et le français dès leur conception, grâce à des modèles de documents bilingues. Sur les réseaux sociaux, la caption de la publication comprend systématiquement les deux langues. Et si une publication affiche d’abord le français, la suivante rétablira l'équilibre avec l’allemand en première ligne.
Adapter sa stratégie de Public Affairs pour créer l'adhésion dans tout le pays OU Oublier la notion de traduction et investir pleinement dans la transcréation
Maeva Chiari, consultante au sein de l'agence Farner, a présenté le cas concret d’une campagne d’affaires publiques de défense des intérêts d’une organisation professionnelle face à la proposition du Conseil fédéral de remaniements tarifaires.
Relations médias, création d’une manifestation rassemblant 10 000 personnes, lancement d’une pétition contre l’intervention tarifaire du Conseil fédéral… l’agence a misé sur les deux tableaux, le local et le national.
Pour l’agence, l’adaptation des messages ne suffit pas. Il a parfois fallu revoir la copie avant de lancer des actions de communication dans différents endroits en Suisse. La leçon selon Maeva, oublier la notion de traduction et investir pleinement dans la transcréation: le plus en amont possible, réfléchir aux idées en groupe multilingue, puis laisser un maximum de liberté aux équipes créatives pour interpréter ces idées et en tirer le matériel final pour les différents publics cibles
Déjouer les pièges d'une campagne nationale imaginée en suisse alémanique
“Les erreurs se payent”. Pour Loris Scaglia, concepteur-rédacteur et cofondateur de l'agence Baston, l’adaptation des messages est une ligne qu’il est nécessaire d’ajouter dans le budget d’une campagne.
Au fil des campagnes que l’agence a menées, Loris Scaglia et son associée Gaëlle Valentini (directrice artistique et cofondatrice) ont tiré trois enseignements.
- Comme pour Farner, ne pas confondre traduction et transcréation. En bref, un message juste traduit n’est pas un message juste.
- Les marques ne doivent plus penser qu’elles sont le centre du monde. En somme, il s’agit de questionner l’utilisation d’une référence culturelle, s’interroger sur la manière dont elle sera comprise, ne pas prendre certains réflexes pour acquis.
- Enfin, “ne plus faire confiance à Carole de la compta qui parle un peu français”. Il est tentant de demander à ses équipes de traduire quelques mots ou valider un slogan dans une autre langue. Mais comme certain-es participant-es l’ont rappelé, si la traduction est un métier, c’est bien une démarche de transcréation qui doit être entreprise dans ces cas-là, avec des compétences et un état d’esprit bien spécifiques.
Pour aller plus loin
Dans l’étude “La perception de la publicité bi-référentielle selon l’origine culturelle: Étude de cas entre la Suisse romande et la Suisse allemande” de Dimitri Grossenbacher, de l’Université de Fribourg, publiée en 2015, l’auteur compare les cultures suisse romande et suisse allemande. Pour cela, il utilise la classification de Geert Hofstede, un psychologue social qui a passé au crible 4 dimensions structurant chaque culture: le rapport à la hiérarchie, à l’individualisme, à l’incertitude et à la masculinité.