Affaire Avisa Partners: communication, manipulation et déontologie.
Catia Luperto et Romain Pittet reviennent sur le sujet qui a fait parler dans le domaine de la communication et des RP au début de l’été: une vaste opération de manipulation de l’opinion publique orchestrée en France et révélée par un journaliste repenti dans Fakir. Leurs réflexions décortiquent les infractions aux codes de déontologie des RP, la responsabilité des médias et l’impact de cette affaire sur l’image des RP.
Le 21 juin 2022, Fakir publie un article sous le titre «Moi, journaliste fantôme au service des lobbies». On y découvre les agissements de Avisa Partners, une société «d’intelligence économique» qui paie des journalistes pour leur fournir du contenu de bonne qualité sur des sujets divers et… controversés.
Des médias éclaboussés par le Far-West de leurs espaces participatifs
Pour compléter l’article paru dans Fakir, il faut visionner l’interview sur France Inter de Fabrice Arfi, responsable de la cellule d’enquête de Mediapart. M. Arfi insiste notamment sur le fait que les chroniques du rédacteur ont été publiées uniquement sur des blogs de médias ou comme commentaires à des articles, et donc uniquement sur des espaces participatifs. Même si ça réduit la responsabilité des médias impliqués, les blogs et commentaires d’articles sont associés à leur marque. L’inverse est donc vrai aussi. Pour l’image globale du journalisme, le mal est fait.
Fabrice Arfi défend la légitimité de ces espaces, qui favorisent la liberté d’expression. Certaines de ces plateformes indiquent faire une modération a posteriori des publications. Pour une gestion plus appropriée et la mise à disposition d’informations vérifiées, ce qui est la promesse des médias face à l’information gratuite, une médiation a priori semble préférable. C’est d’ailleurs ce que fait Fakir.
1 affaire, 8 principes éthiques bafoués
La frontière entre persuasion et manipulation est mince, et les compétences en communication peuvent mener aux deux. C’est en étant conscient de ce pouvoir et pour éviter ce genre de dérive que le corps professionnel a adopté une série de textes qui établissent la déontologie des métiers de la communication et des relations publiques. En Suisse romande, les membres de la SRRP sont tenus de respecter ces codes de déontologie.
Photo: Nathan Dumlao sur Unsplash
Nous avons voulu analyser de manière précise les règles enfreintes par les pratiques dénoncées par Fakir et Mediapart. Le tableau ci-dessous résume la situation et montre les 4 préceptes principalement transgressés dans cette affaire:
- entretenir la confiance
- ne pas porter préjudice à l’image de la profession
- servir l’intérêt du ou des publics
- dire la vérité et agir en toute honnêteté
Principes déontologiques enfreints dans l'affaire Avisa Partners
RP et com: des métiers manipulateurs?
Évidemment, nos métiers tiennent le mauvais rôle dans cette histoire. D’abord parce que le chapô de l’article de Fakir met directement la communication en cause. «Il y a quelques mois, on recevait un coup de fil de Julien, un copain journaliste qui fait des ménages dans la com’, pour payer les factures. Articles bidon, médias complices, déstabilisations, grands groupes pleins aux as... Julien nous raconte le business secret des agences fantômes.»
Note de Romain: on dit pas com’ avec une apostrophe, mais com tout court
Le journaliste repenti fait lui aussi référence à certains objectifs classiques de la communication, tels que «influencer l’opinion publique», «faciliter les affaires». Notons au passage que le journaliste mentionne également le but de «taper sur un concurrent», qui est formellement interdit dans nos codes éthiques. Le manque de connaissance de notre métier est ici flagrant.
Cette idée reçue du communicant sans scrupule prêt à tout pour soigner l’image de son client est, il faut l’avouer, assez convaincante. Soyons clairs: ce n’est pas de la communication, mais une déviance. Quel que soit le but recherché, le boulot de la com, c’est de trouver le moyen le plus efficace d’y parvenir, sans tomber dans la manipulation.
Alors bien sûr, une équipe de communication ou une agence aura tendance à valoriser l’entreprise ou la marque pour laquelle elle travaille et mettre en avant le positif. Mais enfin, on est loin de la manipulation. Et le quotidien des professionnelles et des professionnels de la communication est très éloigné des pratiques dénoncées par Fakir et Mediapart.
À nous de faire ce qu’il faut pour rester du bon côté de la barrière, de garder en tête les règles déontologiques de notre métier, de montrer le bon chemin à nos clients au lieu de nous laisser entraîner du côté obscur.
Pour cela, nous vous proposons une rapide check-list de questions avant de vous lancer dans tout projet RP:
- Les informations que j’utilise sont-elles vraies?
- Les intérêts défendus sont-ils moraux pour toutes les parties prenantes?
- Vais-je garder / nourrir la confiance avec les publics impliqués?
- L’image de la profession sera-t-elle entachée?
À vous, à nous d’y répondre en toute honnêteté.
Catia Luperto & Romain Pittet
Photo principale: Johann Walter Bantz sur Unsplash