28.11.2020

Table ronde « Influenceurs vs leaders d'opinion : comment voient-ils leurs rôles ? »

La SRRP et le CFJM ont co-organisé une table ronde dédiée à la différence entre les métiers d’influenceur et de leader d’opinion le 19 novembre dernier. En présence d’une quarantaine de participants en ligne, les panélistes Haneia Maurer, mannequin et influenceuse de mode, et Myret Zaki, éditorialiste et responsable de la filière communication du CFJM, ont expliqué leurs différents rôles et implications. Marie Deschenaux, co-présidente de la SRRP, s’est chargée de la modération de cette table ronde et de poser les nombreuses questions des internautes.

Marie Deschenaux (MD) : Pensez-vous qu’il y a une différence entre les leaders d’opinion et les influenceurs ?

MZ : le leader d’opinion est quelqu’un qui arrive à rassembler une communauté autour de ses idées. Certains influenceurs deviennent des femmes ou hommes-sandwiches. Ça peut lasser leur public et diminuer leur capacité d’influence. L’audience va là où il y a de l’indépendance. Les gens ne veulent pas qu’on leur dise ce qu’ils doivent penser, ils veulent qu’on alimente leurs discussions.

« Pour un leader d’opinion, le nombre d’abonnés, le nombre de likes et de commentaires sur des contenus montrent notre capacité d’influence. »

Au début, les influenceurs étaient très connotés produits. Alors que les gens qui venaient du journalisme étaient plus orientés sur les idées et le débat. Et ensuite, il y a eu une convergence. Les influenceurs ont des choses à dire et peuvent toucher beaucoup de monde. Les leaders d’opinion quant à eux ont appris à se mettre en avant, à aller sur le terrain. Je voudrais faire de tout le monde des leaders d’opinion et les aider à le devenir.

« Les influenceurs sont très connotés produits ! »

HM : Pas forcément de différence entre les leaders d’opinion et les influenceurs qui ont des gens qui les suivent pour ce qu’ils font. Les marques ont besoin de quelqu’un qui correspond à leurs valeurs. Courir derrière les likes ou vouloir transmettre un message qui aide sa communauté, ce sont deux approches différentes. Il faut choisir. Quand une entreprise m’approche, je lui communique des informations sur mon audience instagram : âge, genre, lieu de résidence, etc. Sur snapchat, c’est uniquement des nombres, on n’a pas de détails. Ce que je montre dépend de la plateforme. Sur instagram, je suis toujours très apprêtée, très lissée. Sur snapchat, je suis beaucoup plus naturelle, je parle de ma vie de façon très ouverte. Je n’invente rien, je suis comme je suis. 

Les médias sont souvent tenus par les puissants de ce monde, alors que les réseaux sociaux sont transparents et ne sont pas dirigés par de l’argent ou par le système. Une force par rapport aux journalistes en France qui sont en général soit à gauche, soit à droite. Je ne me laisse pas guider par l’argent pour présenter des produits, si ceux-ci ne me conviennent pas je ne fais pas leur promotion ! 

C’est important de ne pas briser la confiance des followers. Nous les influenceurs, on est nous-mêmes. On n’est pas dirigés par l’argent. Pour les journalistes, c’est plus délicat car les médias appartiennent à des entreprises et des gens très puissants. 

MD : Comment devient-on influenceurs ? La téléréalité est un vrai booster, faut-il passer par ce genre de canal pour réussir ? 

HM : tout ce qui fait rêver va vous apporter des followers, la télévision en particulier, mais aussi en tant qu’artiste on obtient rapidement de la notoriété.

MZ : la télévision a un effet extraordinaire pour la notoriété. Grâce à mes 4 livres, j’ai fait pas mal de plateaux télé et du coup les gens vont vous chercher sur les réseaux. Si on ne part de rien, cela prend beaucoup plus de temps pour construire une audience sur les réseaux. Le fait également d’être éditorialiste permet aux gens de vous suivre, car votre signature est connue. Sur les réseaux, les opinions sont très recherchées, les gens veulent qu’on alimente le sujet, avoir plusieurs points de vue ou compléter leur propre opinion. On sert d’aiguilleurs.

« Si on part de zéro et qu’on veut créer une audience sur les médias sociaux ça prend du temps. La TV accélère les choses de façon spectaculaire ! »

MZ : en tant que leaders d’opinion, on se démarque plus dans les textes et on se montre moins sur les photos. Mais à présent, les gens sont à la recherche d’authenticité, les entreprises cherchent des collaborateurs qui partagent leurs valeurs. 

« Le personal branding d’un dirigeant ou d’un collaborateur peut rejaillir sur l’entreprise. »

HM : j’utilise ma propre marque car j’utilise mon nom. Haneia Beauty, tout est lié avec mes idées, ce que je crois, et mes valeurs. J’ai le souci d’authenticité par rapport à mon vécu, mon expérience passée.

MZ : les leaders d’opinion avant les réseaux sociaux c’était des journalistes. À présent il y a plusieurs prescripteurs digitaux de tendances et d’idées, comme les youtubeurs et les influenceurs sur instagram qui incarnent au départ les tendances modes pour se faire connaître et amènent ensuite des informations plus importantes. Les jeunes qui dominent Tik tok et qui entendent parler de sujets de société comme l’affaire George Floyd prennent désormais position aussi sur ces questions.

MD : Comment comparer l’audience entre les journaux et les réseaux sociaux ?

HM : Pour calculer l’audience sur instagram il y a plusieurs possibilités comme le nombre de followers, le taux d’engagement, la notion géographique notamment par pays, ainsi que les tranches d’âge et le sexe. Sur Snap, on ne sait rien, c’est le Screenshot qui fait foi.

MZ : Avant les médias sociaux, le seul leader d’opinion était le journaliste. Aujourd’hui, les influenceurs et les entrepreneurs viennent élargir le spectre de ce qu’on appelle le « thought leadership ». Certains lancent leurs propres médias.

HM : « Je ne me considère pas comme un média. Je suis une personne. »

MD : Que dire de la liberté d’expression ?

HM : le gouvernement français, m’a demandé si j’étais intéressée par un poste au Sénat afin de crédibiliser la voix du peuple.

Le métier de journaliste est en péril, les papiers d’enquête peuvent être modifiés par rapport aux réactions des annonceurs, sponsors ou mécènes, il y a le risque d’auto-censure. Beaucoup de médias français reçoivent de gros montants à l’exception de Mediapart et du Canard Enchainé qui sont payés par leurs lecteurs. L’audience vient où il y a de l’indépendance. Il faut être capable d’informer en communiquant pas en faisant uniquement la promotion de quelque chose pour le compte de quelqu’un.

« Sur snapchat, je me comporte exactement comme avec mes amis. »

MZ : On augmente le taux d’engagement en créant un débat. Se prêter au débat est important et il ne faut pas paniquer si tout le monde n’est pas forcément d’accord avec vous. Si j’ai une opinion qui fâche, il faut parfois reciviliser le débat sur les réseaux sociaux. Il reste extrêmement utile : certains arguments lus dans les fils de conversation m’ont inspiré des articles.

MD : Comment gérer les détracteurs, les critiques sévères sur les réseaux sociaux ?

HM : les trolls, on ne peut pas les éviter ! J’ai été vaccinée des trolls avec la téléréalité et je considère ça comme une forme d’expression.

« J’ai fait de la téléréalité, alors franchement je suis vaccinée contre les trolls ! »

Les valeurs des influenceurs doivent être pérennes. Les candidats de téléréalité qui ne font pas beaucoup de vente, c’est parce qu’ils le font uniquement pour l’argent. Les marques recherchent une égérie qui représente leurs valeurs. Je suis parfois victime de snobisme par rapport aux leaders d’opinion, qui pensent que je n’ai pas de réflexion, que je suis quelqu’un de léger.

On obtient encore plus de likes si on montre son corps … mais cela peut donner une mauvaise image quand on court derrière les likes ! Je prends toujours en considération les retours de ma communauté. Ma mission est d’éduquer, aider, accompagner, partager et débattre. Les gens se retrouvent en vous !

MZ : tout tourne autour des valeurs de la personne et aussi pour les entreprises celles-ci peuvent rayonner à travers certains de leurs employés qui ont une aura dans le monde digital. Certes, les réseaux sociaux sont un peu comme le café du commerce avec un débat avec tout le monde. Mais il est intéressant de ne pas toujours avoir seulement l’avis de l’élite ou d’experts, parfois les commentaires du grand public m’apprennent aussi ! Il ne faut pas rester dans une tour d’ivoire, on peut partager même les choses les plus complexes. 

HM : Il faut écouter sa communauté bienveillante qui vous guide ! Leur demander ce qu’ils veulent et mixer avec nos idées et envies. La génération Z ne veut plus de l’ancien instagram qui a grandi avec les Kardashian où tout est calculé, ils veulent à présent de vraies valeurs.

On constate beaucoup de commentaires sur les réseaux sociaux dès que les gens connus prennent ou perdent du poids ! De plus en plus de personnes sont obligées de justifier leur gestion de leur propre corps, car cela renvoie à la propre image des fans. En tant qu’influenceurs on a la responsabilité du message qu’on véhicule, surtout lorsque l’on a beaucoup de followers. Il faut être honnête avec soi-même ! 

MD : Est-ce que M. Dupont, employé de banque peut devenir un leader d’opinion ? Est-ce qu’une jeune fille qui n’a pas fait de téléréalité peut devenir influenceuse ?

MZ : Absolument. Il y a une foule silencieuse qui gagnerait à s’exprimer et qui a toutes les compétences pour devenir leader d’opinion.

Tout le monde a un ressenti, une vision du monde, un discours intérieur, il faut savoir comment le dérouler sur format extérieur, que ce soit par écrit, sur vidéo, sur podcast ou radio pour amplifier le discours et le faire découvrir au monde. Le but étant de faire sortir ses idées de la meilleure manière possible afin que cela soit efficace.

Il faut tout de même avoir une certaine expertise. Si on prend l’exemple de Greta Thunberg, on a pu voir qu’elle a été constamment challengée par l’ensemble des experts mondiaux sur les sujets environnementaux. Il faut pouvoir défendre son dossier de A à Z. Il faut également être capable de débattre pour partager ses idées et prendre le temps nécessaire pour s’informer.

HM : une jeune fille peut devenir influenceuse, j’encourage tout le monde à donner son opinion, lorsque l’on a une expérience de vie enrichissante, l’échange avec les différents vécus pour construire un monde meilleur. Tout le monde peut partager. S’inspirer de tout le monde et après avoir son propre point de vue. 

Tik tok permet de flatter l’ego est de booster des gens totalement inconnus qui en une seule vidéo deviennent des stars éphémères. L’algorithme de l’application produit des stars, tous les réseaux créent des stars !

Concernant l’achat des followers, cela n’est pas très éthique… Kim K. a acheté des followers au départ, tout le monde l’a fait, c’est ainsi que les stars ont émergé, elles ont su casser les codes et utiliser toutes les stratégies.

MD : Donnez-nous un conseil et une erreur à éviter pour devenir leader d’opinion.

MZ : conseil > élaborer un discours et une pensée qui va devenir votre univers par lequel vous serez reconnaissable et apporterez une valeur ajoutée, en particulier du conseil et un sentiment d’exclusivité. Les erreurs à éviter sont de vouloir faire des coups faciles, du sensationnel et de faire trop d’auto-promotion. Comme on voit souvent sur les réseaux sociaux, beaucoup de self-marketing mais pas de réel contenu.

MD : Donnez-nous un conseil et une erreur à éviter pour devenir influenceur.

HM : conseil > créer de l’engagement ! Harmonie sur son mur, trouver qui nous sommes et quelle est la ligne directrice, beaucoup de travail et de persévérance. L’erreur à éviter est d’acheter des followers !

MD : Comment ne pas prendre la grosse tête avec tous ses followers ?

MZ : Il y a toujours des gens qui ont beaucoup plus d’influenceurs que soi (Ronaldo en a 300 millions sur Instagram !) donc dans mon cas, je ne risque pas de prendre la grosse tête. En outre, influencer les idées offre une satisfaction, mais il y a constamment des risques à être ainsi exposée, et cela évite de tomber dans une quelconque euphorie.

HM : l’expérience de vie avec ses difficultés nous apprend à garder la tête froide, mais c’est tout à fait normal de prendre la grosse tête quand on devient célèbre. Il ne faut pas oublier son parcours personnel et travailler sur soi et savoir supporter la pression. Les gens vous prennent pour des dieux. Toujours rester proches et connectés avec les autres, la connexion humaine permet de montrer vos valeurs.

MD : A partir de combien de followers est-on considéré comme influenceur ?

HM : Cela peut être déjà à partir d’une personne, à part d’un point de vue des marques, qui recherchent un taux d’engagement très élevé, bien entendu.

MZ : Le taux d’engagement est souvent plus important que le nombre d’abonnés. Les micro-influenceurs (à partir de 10) qui ont une influence plus directe, ne sont pas non plus à négliger.

Biographie des panélistes 

Myret Zaki (MZ), avec une large audience sur les réseaux sociaux depuis 12 ans, elle figure au nombre des leaders d’opinion en Suisse romande. Après avoir appris l’analyse financière à la banque Lombard Odier, elle rejoint le journal Le Temps en 2001. En janvier 2010, elle part pour le magazine Bilan, où elle y travaille pendant neuf ans. Elle publie 4 bestsellers financiers. UBS, les dessous d’un scandale en 2008, Le secret bancaire est mort, vive l’évasion fiscale en 2010, ensuite La fin du dollar en 2011, puis La finance de l'ombre a pris le contrôle en 2016. Elle a reçu le prix Schweizer Journalist en 2008.

Haneia Maurer (HM) est une mannequin Suisse d’origine égyptienne. Entrepreneure et philanthrope, elle connaît le succès comme influenceuse de mode sur Instagram. Elle a participé à la téléréalité « Les Marseillais ». Fondatrice et présidente de l’association HNEA MUSE, qui soutient les femmes issues de milieux défavorisés. Son combat : aider les femmes qui se retrouvent sans ressources à un jeune âge à trouver des débouchés professionnels en leur offrant des formations courtes. Elle veut également renforcer le rôle des femmes dans le développement durable.

Chantal Guyomarc’h-Favre